Examinons la norme CEI 61850, partie 5 : l’investissement
Hausse de la demande, intégration des énergies renouvelables par l’intermédiaire d’onduleurs, répétition des cyberattaques et tension sur les infrastructures : les défis actuels du secteur électrique aux États-Unis rappellent, dans une certaine mesure, ceux d’il y a une génération.
Modernisation : un thème récurrent
Le début des années 2000 a également marqué une période d’effervescence. Dans tout le pays, les IOU (entreprises d’électricité indépendantes) se restructuraient et se réorganisaient à la suite des fusions et acquisitions qui ont marqué la période de déréglementation des années 90. Les IOUs ainsi que les entités publiques de production d’électricité ont également rencontré des difficultés avec l’application des normes de fiabilité du NERC. Pour ne rien arranger, les employés permanents ont entamé leur départ à la retraite.
Dans le secteur traditionnellement stable et peu dynamique de l’électricité, les fusions-acquisitions, les évolutions du NERC et les vagues de départs à la retraite ont eu l’effet d’un tsunami, bouleversant soudainement et profondément l’environnement commercial. Cette époque a marqué un tournant dans les initiatives de modernisation. Les services d’électricité ont engagé des investissements concrets dans l’automatisation pour ne pas prendre de retard.
L’automatisation des postes électriques a véritablement pris son essor. Des ensembles complets de relais électromécaniques étaient fréquemment mis au rebut, alors que leurs remplaçants à microprocesseurs se déployaient rapidement sur le marché. Les relais numériques ont révolutionné le travail des ingénieurs des protections et relais, leur permettant d’analyser une masse considérable de données issues des équipements pour extraire des informations clés sur le réseau électrique et prendre des décisions avec réactivité. Par ailleurs, les relais multifonctions de dernière génération transmettent des signaux numériques par une communication automatisée, en s’appuyant sur des protocoles comme DNP3, Modbus ou TCP/IP. Toutefois, la mise en œuvre des protocoles requis relevait d’une logique de compatibilité : tout fonctionnait correctement tant qu’on s’appuyait sur la plateforme d’un fournisseur, même si un second fournisseur pouvait être choisi pour les systèmes de secours. L’application de la norme CEI 61850, avec ses modèles de données et ses protocoles standardisés, représente une solution neutre et toujours actuelle pour l’automatisation des postes électriques, en facilitant l’interopérabilité entre des équipements issus de fabricants différents au sein des réseaux de postes électriques.
Seul le moment présent compte
Cette série spéciale en cinq parties « Examinons la norme 61850 » a été conçue principalement pour questionner les raisons pour lesquelles la norme 61850 n’est pas plus largement adoptée aux États-Unis, alors qu’elle devrait l’être, d’autant plus que la modernisation des installations électriques et l’expansion globale des infrastructures électriques semblent aujourd’hui indispensables et urgentes.
À l’heure actuelle, la modernisation des infrastructures représente un défi technique et financier sans précédent. L’automatisation des postes, fondée sur la norme 61850, permet de réduire significativement le temps d’intervention sur site, libérant ainsi des ressources pour accélérer le rattrapage des retards en construction et maintenance. Les connexions Ethernet reliant les dispositifs électroniques intelligents (DEI) sont plus simples et nettement moins nombreuses que les câblages de terminaison entre équipements dans les systèmes d’automatisation traditionnels. Comme les applications 61850 peuvent être préalablement testées et configurées dans un laboratoire reproduisant l’environnement du poste électrique, les interventions sur site se résument à du « plug-and-play ».
En outre, la technologie sous-jacente aux applications 61850 facilite la supervision et les interventions à distance. Le temps économisé sur site et l’efficacité globale du back-end peuvent se traduire par des économies significatives. De plus, les communications en multidiffusion basées sur la norme 61850 rendent les postes électriques plus intelligents et positionnent les entreprises de manière avantageuse pour les futures mises à niveau et extensions, qui deviennent également plus simples et moins onéreuses.
Alors, qu’en est-il ? Pourquoi les entreprises renonceraient-elles à l’automatisation avancée des postes électriques basée sur la norme 61850 malgré les avantages décisifs que l’adoption de cette série de normes peut apporter à un moment où elles en ont le plus besoin ?
Problèmes en suspens
D’une part, il est difficile d’intégrer des initiatives de modernisation dans des activités déjà bien chargées. Toute perturbation qui se produit – promesses exagérées des fournisseurs, réallocation des ressources, budget limité – met en péril l’avancement des travaux. La complexité technique ne facilite pas les choses.
L’évolution des paradigmes dans l’automatisation des postes électriques rencontre des défis majeurs, notamment en raison des complexités croissantes liées à l’intégration des systèmes de protection et de contrôle (P&C). Les ingénieurs des protections et relais ont chacun leurs propres philosophies et méthodes, tout comme les techniciens et les fabricants de relais. Les conceptions des systèmes de protection existants, non standard, ainsi que les méthodologies d’essai et les nouveaux concepts, sont complexes à transposer en équivalents virtuels capables de fonctionner correctement sur les réseaux des postes électriques. C’est pour de telles raisons que les tentatives de réorganisation de la protection et du contrôle des postes électriques pour le monde digital se succèdent depuis des années.
Dans ce contexte, l’adoption de la norme 61850 ne simplifiera probablement pas la complexité ni n’accélérera les processus, mais risque plutôt de substituer une série de contraintes à une autre, sur une voie où les avancées restent limitées.
Un effort prolongé
Supposons que la norme 61850 soit appliquée à l’automatisation de la protection et du contrôle, non pas dans le cadre d’une intégration existante, mais dans un poste électrique entièrement neuf. Il existe néanmoins des complexités particulières qui entrent en ligne de compte dans l’effort de mise en œuvre. Les caractéristiques du système d’alimentation et de la charge, les caractéristiques et les valeurs nominales de chaque composant distinct… ces variables et bien d’autres doivent être prises en compte dans la conception des systèmes.
La norme 61850 n’est pas une solution miracle : elle ne propose ni astuces ni raccourcis. Les ingénieurs, techniciens, spécialistes des réseaux – ainsi que les sous-traitants, consultants et fournisseurs – investissent beaucoup de temps dans l’analyse des normes et la conception des éléments d’une architecture fonctionnelle. Ces ressources doivent inclure les principes théoriques de la P&C, les réseaux des postes électriques ainsi que les systèmes matériels et logiciels assurant la prise en charge des protocoles 61850.
Ceux qui comprennent les données et savent comment activer des processus et des procédures normalisés et produire des données ont une longueur d’avance. La norme 61850 favorise évidemment la normalisation, mais, par exemple, il peut s’avérer complexe de mettre en œuvre des processus garantissant une protection constante des DEI, tout en assurant une gestion rigoureuse des paramètres de configuration et du contrôle des versions. Les incohérences de ce type dans le domaine numérique – qui repose entièrement sur des données fiables – perturbent systématiquement l’installation, le diagnostic et la maintenance courante des dispositifs électroniques intelligents.
L’adoption de la norme 61850 exige des professionnels qualifiés, formés pour collaborer efficacement sur ses différents aspects et capables de mettre en œuvre des applications concrètes basées sur cette norme. Le facteur humain joue un rôle déterminant dans la réussite ou l’échec de l’adoption de la norme 61850, au moins autant que les aspects techniques qu’elle contient. Les entreprises peuvent se retrouver à un tournant décisif, soit en améliorant les compétences des employés existants, soit en recrutant de nouveaux employés. Trouver des ressources qualifiées pour assurer la mise en œuvre de la norme 61850 peut s’avérer difficile, quel que soit le chemin emprunté.
Une question de confiance
Imaginons maintenant que le personnel maîtrise les connaissances et compétences nécessaires, que la normalisation a été mise en œuvre efficacement, que les infrastructures du réseau sont adaptées aux exigences, et que les postes électriques, transformateurs, ainsi que les DEI et les solutions logicielles associées, sont opérationnels. Néanmoins, des points de défaillance peuvent apparaître quant à la norme 61850.
Les architectures des postes électriques basées sur la norme 61850 s’appuient sur des flux de données synchronisés avec précision et structurés de manière optimale, circulant entre les dispositifs du réseau dans une interaction algorithmique rapide et coordonnée. Les temps de latence compromettent les paquets GOOSE et les paquets de valeurs échantillonnées que les DEI traitent dans le cadre de ces communications. Outre les contraintes liées au calendrier, d’autres problèmes se posent.
Les techniciens peuvent se retrouver dans le noir, aux sens propre et figuré, lorsqu’il s’agit de rétablir le fonctionnement d’un poste électrique après un incident, en tentant d’identifier les problèmes d’interopérabilité, les anomalies du réseau ou les défaillances du système, tout en distinguant les spécificités liées au poste électrique numérique des conditions globales du système électrique. Dans quelle mesure seront-ils capables d’identifier et de traiter les problèmes ? Comment peuvent-ils déterminer si un DEI, une unité de fusion, un commutateur réseau ou tout autre équipement, tel qu’un câble, présente une défaillance ? Les fichiers de configuration des DEI qu’ils emploient dans l’urgence sont-ils les bons ?
La vision d’ensemble
L’automatisation avancée des postes électriques jouera un rôle clé dans cette nouvelle phase de modernisation du réseau électrique aux États-Unis, le rôle précisément envisagé pour la norme IEC 61850 au moment de sa conception. Depuis des années, l’application de la norme a apporté des bénéfices concrets aux services d’électricité et aux autres propriétaires‒exploitants de réseaux électriques à travers le monde. Entre-temps, une multitude d’outils fiables, de cours de formation spécialisés et de services de conseil expérimentés ont vu le jour sur le marché américain.
Aujourd’hui, les entreprises, tant locales qu’internationales, disposent d’un large éventail de ressources techniques et commerciales pour les accompagner dans la compréhension approfondie des enjeux et des mécanismes liés à l’application de la norme CEI 61850. Qu’il s’agisse de l’adoption partielle ou totale du recueil de normes, le recours à l’expertise des partenaires peut permettre d’éviter que les difficultés rencontrées en cette période sans précédent ne se transforment en obstacles.
Investir dans le perfectionnement continu des compétences des équipes et aménager un espace de travail dédié, tel qu’un laboratoire équipé d’outils adaptés, peut renforcer la synergie entre les différents services. D’une certaine manière, la communication et le partage d’informations au sein de l’élément humain reflètent les systèmes d’automatisation des postes électriques, qui reproduisent ces dynamiques dans l’élément virtuel : des opérations plus intelligentes, mieux intégrées et plus durables sont corrélées à l’automatisation avancée des postes électriques, reposant sur la norme CEI 61850, laquelle incarne ces mêmes caractéristiques. En fin de compte, la priorité accordée au capital humain orientera les mesures à prendre pour rentabiliser les investissements liés à la CEI 61850.
Informations complémentaires :
- Publication originale dans le bulletin d’informations The Relay™. S’abonner sur LinkedIn.
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Je remercie tout particulièrement Marcos Velazquez Lechuga et Pete Newell de Doble Engineering pour leur aide dans la rédaction de ce blog.






